Un claivier de Macbook avec des emojis sur la touchbar.

Les émotions ont-elles leur place en recrutement ?

Alors que l’intelligence artificielle commence à se démocratiser dans le domaine du recrutement, la place des émotions devient incertaine. Sont-elles néfastes à la prise de décision rationnelle ou, au contraire, sont-elles nécessaires aux recruteurs pour exercer leur empathie et évaluer les candidats au mieux ?

En règle générale, les émotions ne sont pas toujours bienvenues dans l’univers du travail. Pourtant, elles font partie intégrantes du comportement humain. C’est d’ailleurs nos émotions qui font notre humanité. Elles peuvent aussi avoir une utilité fonctionnelle : la peur et le stress, par exemple, nous permettent d’éviter les situations dangereuses.

Au quotidien, nos émotions nous aident d’ailleurs déjà dans nos prises de décision. On appelle cela « l’heuristique de jugement » : des opérations mentales rapides et automatiques qui nous permettent d’utiliser nos émotions et notre instinct pour résoudre des problèmes le plus vite et le plus efficacement possible. Ces raccourcis mentaux sont très souvent basés sur des à priori inconscients et sont ainsi à l’origine de nos biais cognitifs. C’est pourquoi ils peuvent être dangereux, surtout dans le cadre d’un recrutement.

La vraie problématique est que l’on a tendance à sous-estimer l’impact de ses biais cognitifs et de l’influence de nos émotions. Pourtant, de nombreuses expériences prouvent que nous avons tort. Dans les années 80, deux chercheurs des universités Stanford et Kensington ont mené une étude sur l’influence de l’humeur sur le jugement. Dans un premier temps, les participants passaient un faux test (qu’ils pensaient vrai) à l’issue duquel ils recevaient leurs « résultats ». Une moitié se voyait recevoir une bonne note, l’autre moitié une mauvaise. L’objectif du test étant uniquement d’influer sur leur humeur.

Dans un second temps, les participants devaient lire des descriptions de personnes et émettre un jugement sur ces dernières. À noter que les descriptions contenaient autant de points négatifs que de positifs. Les personnes ayant reçu une mauvaise note étaient ainsi plus susceptibles de ne retenir que les points négatifs et d’exprimer un jugement péjoratif.

Cette expérience nous montre que notre humeur peut influencer grandement le jugement que nous portons sur les personnes qui nous entourent. Et cela est vrai également en recrutement. Si la personne qui mène l’entretien a passé une dure journée ou a récemment eu un conflit dans le cadre de sa vie privée, elle évaluera plus durement le candidat.

Nos émotions et notre humeur générale peuvent donc nous pousser à ne nous focaliser que sur les points positifs ou les points négatifs, en occultant le reste. À cela s’ajoutent les biais cognitifs, qui viennent également fausser notre jugement, comme le biais de confirmation, par exemple, qui nous pousse à plus facilement accepter et retenir les informations qui confirment nos idées préconçues. Cela veut-il nécessairement dire que toutes les émotions sont à bannir ? Est-il vraiment possible de recruter sans aucune émotion ?

Malgré les efforts déployés pour dénuer le monde du travail de toute émotion, les êtres humains que nous sommes continueront toujours de nous baser sur nos émotions dans tous les aspects de notre vie. Un candidat en recherche d’emploi ne va pas baser sa décision uniquement sur le salaire, les horaires ou n’importe quel autre critère rationnel. Il va aussi écouter son coeur. Et le recruteur devrait toujours prendre cela en compte.

Mais attention, l’autre piège que présentent les émotions est notre tentation naturelle de vouloir interpréter celles des autres. Le ton de la voix, la posture, le débit de parole, le vocabulaire utilisé… ce ne sont pas les indices qui manquent pour se faire une idée de ce que ressent le candidat. Ce n’est pas pour autant qu’on peut à coup sûr savoir ce qu’il pense.

De plus, il est important de se souvenir qu’un entretien d’embauche est une situation souvent stressante pour les candidats et ce stress peut venir parasiter leurs comportements. Il est donc impossible pour le recruteur en face de se faire une idée fiable sur les émotions du candidat. Le piège est d’interpréter certains signaux comme la preuve que le candidat ment ou de s’imaginer que, s’il a l’air mal à l’aise sur un sujet c’est parce qu’il cache quelque chose. Les éléments de doutes sur les comportements du candidat doivent uniquement susciter des questions plus poussées. Ils ne doivent en aucun cas définir le jugement du recruteur.

Ainsi, le mot de la fin sera celui-ci : l’objectif en recrutement n’est non pas de cacher ni de supprimer ses émotions, mais bien de savoir faire la part des choses afin de reconnaître les émotions pertinentes des émotions parasites. Ainsi, il est normal de se poser des questions et d’émettre un jugement sur la réponse d’un candidat. Mais il faut savoir vite reconnaître quand notre jugement se base sur des éléments extérieurs et non sur l’entretien et le candidat en lui-même.

C’est là que les entretiens structurés prennent toute leur pertinence : elles poussent les recruteurs à poser les mêmes questions à tous les candidats, ne permettant ainsi pas de traitement de faveur. Enfin, pour éviter tout jugement hâtif, il faut aussi s’assurer de récolter le maximum d’informations possibles en creusant chaque question et en demandant aux candidats de parler autant de leurs bonnes expériences que de leurs mauvaises.

Pour conclure, on rappellera que le recrutement (et les ressources humaines en général) est un métier basé sur l’humain, et que c’est aussi grâce à ses émotions et à son empathie qu’un recruteur est capable de choisir le bon candidat et c’est aussi pour cela que l’intelligence artificielle ne sera jamais tout à fait capable de le remplacer.

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